Théodore, HPI, et la musique

La maman de Théodore raconte l’histoire de son enfant avec la musique
Théodore a commencé à aller au cours de piano à l’âge de 8 mois. Nous l’avons
inscrit à l’école Kaddouch & Music, à la fois amusés et intrigués que l’on puisse enseigner la musique à des enfants aussi petits.

Théodore a d’abord suivi un cours collectif avec des enfants de son âge. Sur mes genoux, il était très captivé par ce qu’il se passait au piano, comme la plupart des autres enfants. À la différence de certains d’entre eux qui répondaient volontiers aux invitations de Robert Kaddouch à toucher un jouet ou à souffler dans un micro, Théodore se montrait distant mais cependant très
observateur.

Un peu avant l’âge de deux ans, nous avons senti que Théodore
s’approchait régulièrement du piano avec visiblement une envie de s’y mettre. Il a
commencé alors les cours individuels. C’est aussi le moment où les parents
n’accompagnent plus les enfants dans la salle de piano. L’enfant grandit et ces
moments de musique lui appartiennent. C’est aussi à ce moment-là que nous avons
commencé à réaliser que Théodore était probablement un enfant doué. Il était très à
l’aise avec les chiffres, commençait à savoir lire et développait une passion toute
singulière pour l’astronomie. Nous avons alors perçu que la musique avec son
écriture, son rythme et sa structure devait naturellement intéresser Théodore. Ce qui
est sans doute vrai. Théodore est toujours allé aux cours de musique avec
enthousiasme.


C’est lors de son entrée à l’école, à trois ans, que nous avons senti que cet
enseignement serait primordial. L’enfant à la fois vif et calme, souriant et
s’intéressant à tout que nous avions toujours connu n’a pas trouvé sa place dans
cette première école. Sa manière de jouer, son comportement hypersensible ont
perturbé l’instituteur. À notre plus grand étonnement et stupéfaction, celui-ci lui
trouvait tout de sortes de troubles du comportement, tout en disant par ailleurs qu’il
ne gênait aucunement le bon déroulement de la classe. Nous avions compris alors
qu’écouter et comprendre un enfant comme Théodore n’était pas évident pour tout le
monde. Le cours de piano est alors devenu une ouverture indispensable. Théodore
pouvait librement parler de ce qui l’intéressait vraiment, l’astronomie, les minéraux,
les dinosaures et tant d’autres choses sans que son interlocuteur ne montre son ennui.
Mieux, ces éléments se sont intégrés à la musique, sont devenus des supports à
l’expression et à la créativité.


Théodore a maintenant 6 ans. Il a depuis changé d’école. Il est en CE1,
apprécie sa maîtresse, mais avoue s’ennuyer un petit peu en classe. C’est pourquoi
les cours de piano restent des moments privilégiés. C’est un endroit où il peut faire
dériver toutes ses connaissances vers la musique. Cela lui permet de sortir de ses
schémas d’apprentissage personnels et autonomes, qui même s’ils sont très
efficaces, risquent de l’enfermer dans un ruminement répétitif. En tant que parents,
cela nous permet aussi de voir Théodore sous un autre angle. En effet, sa haute
potentialité n’est pas très visible au piano. Ses mains ne sont pas très agiles et
surtout il ne passe pas des heures sur son piano comme il peut le faire pour la
lecture d’un livre sur les sciences. Cependant, il joue tous les jours une dizaine de
minutes avant de se coucher et parfois, il s’émerveille de progresser.

Extrait de l’ouvrage : « Deux études de cas pour une autre pédagogie »

Théodore, élève âgé de 6 ans,a débuté ses cours avec moi dès l’âge de 8 mois.

La conductibilité, la communication par la création, est le centre de toutes mes préoccupations pédagogiques. Mon objectif demeure de l’encourager chez
chacun de mes élèves. Ce but ne s’atteint pas sans une interrogation continue sur ce qu’est la conductibilité et sur les dispositifs à mettre en place pour la susciter. L’exercice
de l’enseignement reste pour cette raison primordial.
Seule la pratique apporte des renseignements pertinents et valide l’idée que l’on se fait de la conductibilité, ou plutôt de son fonctionnement. C’est pourquoi j’invite
les professeurs que je forme à entrer dans cette démarche qui suppose une reconstruction permanente de la manière dont ils conçoivent un acte conductif et le favorisent. J’évite de leur donner des idées toutes faites sur celui-ci. Certes, je leur apprends que la conductibilité est la communication par la création. Mais une telle formule nous informe moins sur le déroulement que sur les fins de l’apprentissage. Or c’est ce déroulement qui importe au métier d’enseigner.
Il pose en effet les interrogations suivantes : comment communiquons-nous, créons-nous, communiquons-nous nos créations? Mon expérience apporte des éléments de réponse à ces questions. Ils méritent tous cependant d’être vérifiés et complétés par d’autres professeurs dans des domaines extérieurs ou non à celui de la musique. Il pourrait se bâtir ainsi un savoir collectif
et divers sur la conductibilité, efficace dans la pratique,qui améliorerait les savoir-faire de chaque enseignant,en attendant qu’un jour les scientifiques statuent sur lesdifférentes approches qui émergeront de cette réflexioncollégiale sur la conductibilité. Comme celui de Pierre, le cas de Théodore reste archétypal à mes yeux. Il met particulièrement en relief ce qu’est la conductibilité et principalement la manière dont elle opère. Pierre soulève la question de la faculté de créer et de se décentrer (saisir la pensée d’autrui dans ce qu’elle a d’étranger avec la
sienne). Théodore m’interpelle sur la problématique de l’expression de la sensibilité propre à chacun, sur la relation entre la création et l’individuation, en d’autres termes sur la possibilité pour chaque élève de créer en fonction de ce qui l’intéresse véritablement.
En plus d’enrichir ma compréhension du fonctionnement de la conductibilité, Pierre et Théodore, par
les difficultés spécifiques qu’ils rencontrent, m’informent sur les moyens concrets auxquels recourir durant un cours. Pierre et Théodore ne partagent en rien les mêmes prédispositions, celles sur lesquelles il s’agit de s’appuyer pour déclencher et préserver la conductibilité (les ancrages). Elles paraissent même aux antipodes.
En effet, si Pierre symbolise celui qui serait au premier abord incapable de communiquer ou de créer, autrement dit de conduire, Théodore représente au contraire celui qui serait déjà apte à transmettre ses créations et à être attentif à celles des autres. Apprendre à conduire apparaît impossible chez Pierre, inutile chez Théodore.
Pourtant, nous l’avons vu, un enseignement axé sur l’éveil et le développement de la conductibilité n’est pas impossible avec Pierre. Pour d’autres raisons que je vais évoquer à présent, un tel enseignement est aussi loin d’être inutile dans le cas de Théodore. Il s’avère même
indispensable.
Théodore est un enfant que les psychologues nomment « à haut potentiel». Il a, par exemple, appris à
lire seul dès l’âge de trois ans, sans que ses parents ne s’en rendent compte. Personne ne sait à quel moment ni de quelle manière il a réalisé son apprentissage.
Théodore n’a donc aucune difficulté à résoudre de façon autonome des situations-problèmes inédites pour lui. Il faut ajouter que son savoir se construit en fonction de ses intérêts personnels. Sa passion pour les oiseaux illustre ce fait. Vers quatre ans, à l’instar de beaucoup d’enfants, ces volatiles l’ont soudainement intrigué. Il a alors demandé à ses parents de lui acheter des
livres sur ce sujet. Il a ensuite noté que les ouvrages
disposaient parfois d’informations contradictoires – il en a fait la remarque à ses parents. Il en a déduit
qu’il devait recouper plusieurs documents. Il considère en résumé qu’une information est fiable lorsque la majorité des sources s’accordent sur celle-ci. Théodore possède par conséquent d’authentiques passions, au sens où il approfondit ses centres d’intérêt, et ne se contente ni d’une recherche superficielle, ni de satisfaire une soif de nouveauté impersonnelle. Il parvient à vitaliser sa sensibilité (son admiration pour les oiseaux) à travers l’acquisition autonome de nouvelles connaissances. À la différence de la plupart des enfants qui seraient incapables de creuser leur curiosité sans
l’aide soutenue d’un enseignant, il parvient à s’exprimer de façon autonome, c’est-à-dire à approfondir
ce qui lui plaît, à faire de ce qui l’émerveille l’occasion d’exercer sa créativité, de s’ouvrir sur le monde,
d’acquérir de nouvelles informations sensibles et intellectuelles, sans l’aide directe de quiconque. Ses goûts deviennent ainsi ce que j’appelle des « goûts profonds». Ils ne s’apparentent pas à des penchants superficiels, momentanés, qui ne débouchent sur aucun approfondissement, aucune restructuration de l’organisme ou qui dépendent entièrement de l’environnement extérieur pour se déployer. Ils dévoilent au contraire un rapport autonome, actif, créatif et personnel à ce qui
l’entoure. Créer et s’exprimer pour lui ne sont qu’une seule et même activité. Théodore nous rappelle que s’exprimer, ce n’est pas dire ou montrer ce que nous aimons, mais approfondir par nous-même ce que l’on aime. Rien ne prouve que nous désirions vraiment
ce qu’on nous prétendons désirer. La seule preuve effective est l’énergie efficace ou non que nous dépensons à réaliser notre objectif et qu’un tiers ne pourra que constater.
Depuis qu’il sait lire, Théodore s’est passionné pour différents sujets. Tout d’abord, l’astronomie, puis les polyèdres, les mathématiques, les éléments chimiques, les oiseaux, et enfin les dinosaures. Il les a découverts et approfondis à l’aide d’ouvrages destinés à des adolescents et grâce à internet. À chaque fois, je lui ai proposé de mettre en musique des éléments de ces domaines.
La mise en musique, ou plutôt selon ma terminologie la musicalisation, est une des activités phares de ma pratique pédagogique. Elle procède en deux temps. Dans une première étape, il importe d’identifier chez
l’élève ce qui l’intéresse très exactement. Il ne s’agit
pas simplement d’inventer par exemple une danse des
molécules au moment où Théodore se préoccupe d’éléments chimiques. La musicalisation ne se réduit pas à habiller une activité de création. Elle doit interroger ce qui questionne l’élève. Elle ne part pas d’un thème, mais d’un problème qu’il se pose ou que je peux lui soumettre dans le domaine qui le passionne. Je ne requiers pas de Théodore qu’il m’indique uniquement ce qui l’attire actuellement. Je l’invite à sélectionner une planète ou un élément chimique, et à m’expliquer ce qui caractérise pour lui cette planète ou cet élément chimique. Ce problème l’oblige à adopter vis-à-vis de ce qui
le motive une posture d’approfondissement, autrement dit une posture dans laquelle il rencontre une
situation-problème inédite au sein d’un domaine qui l’intéresse particulièrement. Ainsi, je l’empêche
délibérément d’évoquer d’une manière superficielle ce qu’il apprécie afin de réinitialiser en lui une posture de création. Il doit soit me rapporter une situation dans laquelle il a rencontré un problème inédit et l’a résolu, soit résoudre pour moi un nouveau problème inédit relatif à sa passion. Naturellement, je m’assure de sa réussite. Je lui présente un problème simple pour
lui. Il serait imprudent et improductif de montrer à un élève que la passion qu’il développe par et pour
lui-même se heurte à des obstacles insurmontables. Ceci reviendrait à le décourager, à lui faire adopter
des postures d’échec. Si je souhaite m’appuyer sur ses postures de réussite personnelle extérieures au domaine musical (résolution réussie d’un problème inédit propre à un champ personnel d’investigation) afin de favoriser des postures de réussite personnelles en musique, il importe de veiller à ne pas l’exposer à un problème trop complexe. Il faut tout de même que ce problème soit au moins une ancienne situationproblème inédite pour lui, et non un problème si facile qu’il n’a exigé qu’une réponse préformatée. Lorsqu’un problème nous parait évident, même si nous ne l’avons jamais rencontré, sa solution est déjà pour ainsi dire en nous-mêmes. Notre action se cantonne alors à appliquer à un problème nouveau une solution que nous n’avons nul besoin de créer puisque nous la connaissons déjà. Ne confondons pas une situation – problème inédite et une situation – problème nouvelle.
Un problème n’est inédit que si et seulement si sa solution nous est inconnue. Si nous disposons de sa solution au préalable, et que seul son énoncé diffère de ceux que nous avons déjà croisés sur notre route, ce problème constituera illusoirement un problème de création.
Encourager un adolescent à aller attraper un livre qu’il n’a jamais lu sur l’étagère d’une bibliothèque n’est en rien une activité inédite, même s’il n’a jamais mis les pieds dans une quelconque bibliothèque. À son âge, normalement, une telle activité mobilise des réponses intellectuelles et motrices dont il dispose. Elle ne réclame en rien une invention, un dépassement. Une situationproblème nouvelle est tout autant une situation-problème stéréotypée qu’une situation-problème modèle dans laquelle
nous connaissons non seulement la réponse à l’avance, mais aussi l’énoncé, car ce dernier ressemble trop à un énoncé que nous avons déjà rencontré et résolu.
C’est pourquoi le problème proposé avant une authentique activité de musicalisation doit non seulement correspondre à un domaine qui intéresse l’élève, être réalisable rapidement durant la séance, mais avoir nécessité ou nécessiter un effort de création. Dans le cadre de ma pédagogie, toute activité de musicalisation commence par le rappel ou la découverte d’un problème de création au sein d’un domaine qui passionne l’élève sur le moment, c’est-à-dire par l’adoption par l’élève (dans son cerveau) d’une posture de réussite personnelle. Le plus souvent par ailleurs, je me contente d’un simple rappel, car il ne s’avère pas toujours aisé à un enseignant de proposer un problèmepertinentdans un domaine qui n’est pas le sien. Aussije convie Théodore à choisir un élément chimique puisà m’expliquer aussitôt ce qui le caractérise sur le planchimique. Il opte alors pour le fer, parce qu’il est selon lui remarquable du fait de sa stabilité. Je le prie alors de m’exposer les raisons chimiques de la stabilité du fer

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