La lecture musicale .
La part et la nature des compétences techniques et méthodologiques dans l’activité musicale donne lieu à des malentendus persistants.
Cette conception est caractérisée par un danger de réduction du déchiffrage à un aspect purement mécanique : transcrire le plus vite possible une quantité d’informations déjà contenues dans un code. Cette réduction conduit à retomber dans les ornières d’un ” décodage ” pensé sous le seul angle d’une mécanique cognitive qui n’existe jamais telle quelle dans l’activité musicale. Elle entretient l’illusion dangereuse de faire comme s’il y avait dans le cerveau du musicien un module ” déchiffrage ” capable de fonctionner clos sur lui-même et transmettant simplement des résultats à un module ” exécution ” ou ” interprétation “. Cette illusion renvoie à une vision computationniste du cerveau qui oublie que l’activité musicale est holistique (elle engage la totalité de la personne, toutes composantes en interaction serrée), ou n’est pas. Elle renvoie aussi à une vision réductrice de l’information musicale qui devrait être coupée de son sens (sa fonction dans un continuum formel) et de sa signification (ce qu’exprime cette forme) : vue comme concours de vitesse, le déchiffrage ne favorise pas la résonance, c’est-à-dire la signification de ce qui vient d’être lu, et de ce fait, il manque l’élément royal, c’est-à-dire en musique le son, la signification de la phrase . Elle renvoie enfin à une vision représentationniste du langage : déchiffrer, ce n’est pas décoder comme les marins décodaient le morse, le signe réduit au signal renvoyant de manière univoque un atome de signifié, la signification se construisant par mise bout à bout de ces atomes.
En réalité, il est important de re-positionner le déchiffrage dans le sens d’un épanouissement de l’information, ce qui pourrait se décliner de la manière suivante. La capacité de déchiffrage n’a de valeur musicale que s’il elle est conçue comme une activité complète et productive. Déchiffrer, c’est réagir : la signification ne peut être l’effet que d’une réponse productive du récepteur. C’est échanger, c’est produire : le texte musical envoie des informations dont la nature est d’inviter le musicien à réagir en produisant de la signification. Déchiffrer, c’est extraire de la signification à partir du chiffre, du code. C’est prendre une information depuis sa couche la plus superficielle, la note, la mesure, pour la conduire jusqu’à son essence même : ineffable, existentielle. Savoir déchiffrer, c’est comprendre la raison pour laquelle telle forme a été créée, c’est comprendre pourquoi telle pensée musicale existe sous telle forme.
Cela se vérifie en considérant le processus de lecture : l’on déchiffre d’autant plus facilement que l’on comprend dans quel sens va la partition. Il faut se projeter vers l’existence même d’une forme. L’anticipation, qui est une manifestation importante de la capacité de déchiffrage, ne se définit pas comme l’acceptation intégrale et passive de la lettre de l’information . Elle entretient paradoxalement des relations subtiles mais étroites avec l’improvisation : faire face à l’imprévisible… Anticiper c’est aussi pouvoir se dire : si la note ne vient pas, je l’invente… Par rapport à la haute technicité, la haute rapidité de la lecture, on pourrait dire que plus on est à même de comprendre, de présupposer, d’anticiper le sens, plus on va englober rapidement le code, qui va être vitalisé par la prise d’information. Il faut donc déchiffrer comme si l’on improvisait ! Il faut se pencher sur l’évidence du sens, et alors l’on arrive à de vraies stratégies visuelles, qui psychologiquement, naissent de l’anticipation du sens. L’on pourrait tenter un rapprochement avec le langage verbal et ses allers et retours entre la pensée et l’élaboration de l’énoncé.
Lire, c’est échanger. Cela a une incidence sur les différents modes de lecture de la partition. En effet, prendre les informations nécessaires à la compréhension de la signification musicale, ce n’est pas procéder à une collection linéaire et exhaustive, ce n’est pas devenir capable de répondre à une question du genre : ” Quel est le troisième accord de la douzième mesure ? ” et de juger à cette aune la qualité de la prise d’information.
Lire, c’est se réjouir de communiquer avec l’universalité, l’intemporalité des idées-force, parce que c’est une activité productive qui recrée l’organisation interne de la forme musicale. L’analyse des différentes formes et conditions du déchiffrage peut utiliser ce critère : investir sa conscience réfléchie dans l’action est affaire de temps. Le déchiffrage varie selon sa temporalité. Un déchiffrage rapide peut avoir une fonction identique à celle d’un croquis de dessinateur, on “croque” une partition. L’intérêt réside dans le déclenchement spontané de l’intuition (un croquis de Picasso est-il autre chose qu’une intuition de l’essence du mouvement ?). L’emprise du temps permet une concentration vers l’essentiel et l’élimination du “détail” (le moins essentiel). Un travail fructueux allie donc différentes prises de connaissance du texte et les conjugue :
1. Le déchiffrage mécanique,
qui a l’avantage de soumettre à l’écoute des formes non comprises, donc non “anticipables” (ce sera le cas face à certaines partitions contemporaines). L’inconvénient est qu’il nie toute co-construction de la partition et de l’interprète (nous y reviendrons) et qu’il atrophie la créativité .
2. La lecture syntaxique.
Le lecteur est guidé par les cadences, modulations, archétypes rythmiques et mélodiques, formules connues …mots musicaux reconnus …la connaissance des styles et le potentiel cognitif (théorie, harmonie, culture )interviennent. Ce mode de lecture mobilise le niveau ” micro “, celui qui est le plus spontané chez le déchiffreur débutant qui n’a pas encore une vue d’ensemble, il met en œuvre les règles d’agencement internes à un groupe : ” l’horizon d’attente ” que l’on se construit par exemple au début d’une modulation.
3. La lecture filigranique. Il s’agit de percevoir le mouvement intérieur à travers une forme, d’aller à l’essentiel et de reconstituer les éléments à partir de ce substrat. La perception du sens va insuffler des stratégies visuelles, donner un itinéraire à l’oeil guidé par la conscience des éléments susceptibles d’être trouvés. L’œil va anticiper une trajectoire et va voir, un peu comme un pilote de course, la ligne idéale, en suspendant provisoirement les entours de sa ” mise en texte “. Et à partir de là, il va pouvoir recomposer, réinventer le reste des éléments, les blocs, les phrases : mais il faut pour cela découvrir l’axe principal, la ligne idéale, celle sans quoi le sens est ébréché.
4. La lecture syntagmatique relie les ensembles à partir du sens des différentes parties dont la conjugaison est perçue voire anticipée. Elle opère à un niveau plus macro- que micro-, et conditionne par exemple la capacité à réagir à la conjonction de deux éléments en tant qu’elle amène la nécessité du troisième ; il s’agit d’une capacité à saisir la raison d’être des enchaînements de groupes, ou dans une musique fondée par exemple comme celle de Debussy sur des métamorphoses continuelles, à relier ce qui change, au lieu d’atomiser chaque changement.
5. Le décodage sémiotique.
Ce mode de lecture nécessite du temps. Il s’agit d’une activité analytique, d’un mouvement vers les fondements, vers le parcours génératif des significations. En effet, l’on peut avoir une lecture syntagmatique, mais sans en tirer les conclusions, sans accéder au niveau de la signification profonde. Si l’on prend l’exemple des tierces, il faut passer par une question comme: ” Si je faisais un morceau avec des tierces, qu’est-ce que cela signifierait que j’ai envie d’exprimer ? “. L’apprenti passera donc par une phase d’improvisation avec des tierces, puis de comparaison avec des quartes… On en vient à ce qu’est une tierce en termes de signification expressive et musicale.
6. Il faut enfin évoquer une autre famille de lectures : les lectures rétroactives.
Les informations pratiques ont été prises, et l’oeil va visiter la partition pour aller chercher encore plus de sens. Postulant une sorte de présupposition d’autres sens possibles, le musicien va dans un “désordre” supra-segmental chercher à reconstituer un puzzle. Sous cette forme évoluée de déchiffrage, l’interprète est l’allié du compositeur : il recompose l’oeuvre par des re-spatialisations. L’espace est utilisé comme outil de re-création. La lecture devient alors une ré-écriture du texte : elle le reconstitue, non dans un ordre chronologique, mais dans l’ordre des idées dont elle reconstitue l’arborescence (ordre qualitatif). Un dessinateur qui “croque” ne fait pas les traits dans l’ordre géométrique, mais dans celui de l’idée qui apparaît.
L’intérêt de la distinction de ces niveaux de lecture est de mieux saisir les interactions continuelles entre forme et sens, indispensables pour préserver un aspect essentiel, fondamental : la vitalisation de l’information, l’intériorisation par le musicien de sa raison d’être, à tel moment, à tel endroit.
Alors on peut parler symbiose corporelle entre déchiffrage et interprétation. La lecture rythmique amène le corps à corps avec le texte, comme une sorte de chorégraphie. Le pianiste est chorégraphe de ses mains : je lis des informations codées, ces informations donnent de la musique, cette musique donne du mouvement, mon corps danse ce mouvement, ce mouvement va être apprivoisé avec une codification, qui va être le plancher du piano, en quelque sorte. On va donc construire des chorégraphies et non pas des mouvements de doigts. Dans la notion de chorégraphe, il y a la corporéification totale de la musique, c’est tout le corps qui s’immerge.
Et voilà pourquoi l’on peut dire au total que le déchiffrage est échange. Déchiffrer devient s’inventer soi-même à travers une forme comparative: comment suis-je à travers l’information que je prends ? Que prends-je comme information qui me fait découvrir de ce que je ne connais pas de moi ? L’enjeu est de s’inventer soi-même à travers une situation métabolique. Que me dit cet accord ? Comment suis-je moi, à travers ce que je découvre ? Alors on peut dire que prendre le temps d’écouter l’accord que l’on vient de découvrir au lieu de foncer dans la dépendance d’un sablier est significatif d’une attitude d’échange.
On le voit, la problématique du déchiffrage prend tout son sens lorsqu’elle est reliée à celle des significations musicales. Lire de la musique peut être vu comme la fête d’une communication avec ce que l’homme a de plus grand. La première étape, en recourrant à l’image de l’arbre, consiste à examiner les nervures, les feuilles, les veines de ce tronc qu’est la partition, enracinées dans le temps, mais dont les dernières ramifications caressent le firmament. On est devant cet arbre, avec la partie la plus matérielle, les nervures, la feuille, les veines, et donc c’est l’âge, la maturité et en même temps, ces ramifications ; on se trouve dans une continuité, dans le mouvement, dans le processus se faisant, celui de la sève. Il s’agit de redonner à l’objet sa dimension temporelle.
Cette conception est caractérisée par un danger de réduction du déchiffrage à un aspect purement mécanique : transcrire le plus vite possible une quantité d’informations déjà contenues dans un code. Cette réduction conduit à retomber dans les ornières d’un ” décodage ” pensé sous le seul angle d’une mécanique cognitive qui n’existe jamais telle quelle dans l’activité musicale. Elle entretient l’illusion dangereuse de faire comme s’il y avait dans le cerveau du musicien un module ” déchiffrage ” capable de fonctionner clos sur lui-même et transmettant simplement des résultats à un module ” exécution ” ou ” interprétation “. Cette illusion renvoie à une vision computationniste du cerveau qui oublie que l’activité musicale est holistique (elle engage la totalité de la personne, toutes composantes en interaction serrée), ou n’est pas. Elle renvoie aussi à une vision réductrice de l’information musicale qui devrait être coupée de son sens (sa fonction dans un continuum formel) et de sa signification (ce qu’exprime cette forme) : vue comme concours de vitesse, le déchiffrage ne favorise pas la résonance, c’est-à-dire la signification de ce qui vient d’être lu, et de ce fait, il manque l’élément royal, c’est-à-dire en musique le son, la signification de la phrase . Elle renvoie enfin à une vision représentationniste du langage : déchiffrer, ce n’est pas décoder comme les marins décodaient le morse, le signe réduit au signal renvoyant de manière univoque un atome de signifié, la signification se construisant par mise bout à bout de ces atomes.
En réalité, il est important de re-positionner le déchiffrage dans le sens d’un épanouissement de l’information, ce qui pourrait se décliner de la manière suivante. La capacité de déchiffrage n’a de valeur musicale que s’il elle est conçue comme une activité complète et productive. Déchiffrer, c’est réagir : la signification ne peut être l’effet que d’une réponse productive du récepteur. C’est échanger, c’est produire : le texte musical envoie des informations dont la nature est d’inviter le musicien à réagir en produisant de la signification. Déchiffrer, c’est extraire de la signification à partir du chiffre, du code. C’est prendre une information depuis sa couche la plus superficielle, la note, la mesure, pour la conduire jusqu’à son essence même : ineffable, existentielle. Savoir déchiffrer, c’est comprendre la raison pour laquelle telle forme a été créée, c’est comprendre pourquoi telle pensée musicale existe sous telle forme.
Cela se vérifie en considérant le processus de lecture : l’on déchiffre d’autant plus facilement que l’on comprend dans quel sens va la partition. Il faut se projeter vers l’existence même d’une forme. L’anticipation, qui est une manifestation importante de la capacité de déchiffrage, ne se définit pas comme l’acceptation intégrale et passive de la lettre de l’information . Elle entretient paradoxalement des relations subtiles mais étroites avec l’improvisation : faire face à l’imprévisible… Anticiper c’est aussi pouvoir se dire : si la note ne vient pas, je l’invente… Par rapport à la haute technicité, la haute rapidité de la lecture, on pourrait dire que plus on est à même de comprendre, de présupposer, d’anticiper le sens, plus on va englober rapidement le code, qui va être vitalisé par la prise d’information. Il faut donc déchiffrer comme si l’on improvisait ! Il faut se pencher sur l’évidence du sens, et alors l’on arrive à de vraies stratégies visuelles, qui psychologiquement, naissent de l’anticipation du sens. L’on pourrait tenter un rapprochement avec le langage verbal et ses allers et retours entre la pensée et l’élaboration de l’énoncé.
Lire, c’est échanger. Cela a une incidence sur les différents modes de lecture de la partition. En effet, prendre les informations nécessaires à la compréhension de la signification musicale, ce n’est pas procéder à une collection linéaire et exhaustive, ce n’est pas devenir capable de répondre à une question du genre : ” Quel est le troisième accord de la douzième mesure ? ” et de juger à cette aune la qualité de la prise d’information.
Lire, c’est se réjouir de communiquer avec l’universalité, l’intemporalité des idées-force, parce que c’est une activité productive qui recrée l’organisation interne de la forme musicale. L’analyse des différentes formes et conditions du déchiffrage peut utiliser ce critère : investir sa conscience réfléchie dans l’action est affaire de temps. Le déchiffrage varie selon sa temporalité. Un déchiffrage rapide peut avoir une fonction identique à celle d’un croquis de dessinateur, on “croque” une partition. L’intérêt réside dans le déclenchement spontané de l’intuition (un croquis de Picasso est-il autre chose qu’une intuition de l’essence du mouvement ?). L’emprise du temps permet une concentration vers l’essentiel et l’élimination du “détail” (le moins essentiel). Un travail fructueux allie donc différentes prises de connaissance du texte et les conjugue :
1. Le déchiffrage mécanique,
qui a l’avantage de soumettre à l’écoute des formes non comprises, donc non “anticipables” (ce sera le cas face à certaines partitions contemporaines). L’inconvénient est qu’il nie toute co-construction de la partition et de l’interprète (nous y reviendrons) et qu’il atrophie la créativité .
2. La lecture syntaxique.
Le lecteur est guidé par les cadences, modulations, archétypes rythmiques et mélodiques, formules connues …mots musicaux reconnus …la connaissance des styles et le potentiel cognitif (théorie, harmonie, culture )interviennent. Ce mode de lecture mobilise le niveau ” micro “, celui qui est le plus spontané chez le déchiffreur débutant qui n’a pas encore une vue d’ensemble, il met en œuvre les règles d’agencement internes à un groupe : ” l’horizon d’attente ” que l’on se construit par exemple au début d’une modulation.
3. La lecture filigranique. Il s’agit de percevoir le mouvement intérieur à travers une forme, d’aller à l’essentiel et de reconstituer les éléments à partir de ce substrat. La perception du sens va insuffler des stratégies visuelles, donner un itinéraire à l’oeil guidé par la conscience des éléments susceptibles d’être trouvés. L’œil va anticiper une trajectoire et va voir, un peu comme un pilote de course, la ligne idéale, en suspendant provisoirement les entours de sa ” mise en texte “. Et à partir de là, il va pouvoir recomposer, réinventer le reste des éléments, les blocs, les phrases : mais il faut pour cela découvrir l’axe principal, la ligne idéale, celle sans quoi le sens est ébréché.
4. La lecture syntagmatique relie les ensembles à partir du sens des différentes parties dont la conjugaison est perçue voire anticipée. Elle opère à un niveau plus macro- que micro-, et conditionne par exemple la capacité à réagir à la conjonction de deux éléments en tant qu’elle amène la nécessité du troisième ; il s’agit d’une capacité à saisir la raison d’être des enchaînements de groupes, ou dans une musique fondée par exemple comme celle de Debussy sur des métamorphoses continuelles, à relier ce qui change, au lieu d’atomiser chaque changement.
5. Le décodage sémiotique.
Ce mode de lecture nécessite du temps. Il s’agit d’une activité analytique, d’un mouvement vers les fondements, vers le parcours génératif des significations. En effet, l’on peut avoir une lecture syntagmatique, mais sans en tirer les conclusions, sans accéder au niveau de la signification profonde. Si l’on prend l’exemple des tierces, il faut passer par une question comme: ” Si je faisais un morceau avec des tierces, qu’est-ce que cela signifierait que j’ai envie d’exprimer ? “. L’apprenti passera donc par une phase d’improvisation avec des tierces, puis de comparaison avec des quartes… On en vient à ce qu’est une tierce en termes de signification expressive et musicale.
6. Il faut enfin évoquer une autre famille de lectures : les lectures rétroactives.
Les informations pratiques ont été prises, et l’oeil va visiter la partition pour aller chercher encore plus de sens. Postulant une sorte de présupposition d’autres sens possibles, le musicien va dans un “désordre” supra-segmental chercher à reconstituer un puzzle. Sous cette forme évoluée de déchiffrage, l’interprète est l’allié du compositeur : il recompose l’oeuvre par des re-spatialisations. L’espace est utilisé comme outil de re-création. La lecture devient alors une ré-écriture du texte : elle le reconstitue, non dans un ordre chronologique, mais dans l’ordre des idées dont elle reconstitue l’arborescence (ordre qualitatif). Un dessinateur qui “croque” ne fait pas les traits dans l’ordre géométrique, mais dans celui de l’idée qui apparaît.
L’intérêt de la distinction de ces niveaux de lecture est de mieux saisir les interactions continuelles entre forme et sens, indispensables pour préserver un aspect essentiel, fondamental : la vitalisation de l’information, l’intériorisation par le musicien de sa raison d’être, à tel moment, à tel endroit.
Alors on peut parler symbiose corporelle entre déchiffrage et interprétation. La lecture rythmique amène le corps à corps avec le texte, comme une sorte de chorégraphie. Le pianiste est chorégraphe de ses mains : je lis des informations codées, ces informations donnent de la musique, cette musique donne du mouvement, mon corps danse ce mouvement, ce mouvement va être apprivoisé avec une codification, qui va être le plancher du piano, en quelque sorte. On va donc construire des chorégraphies et non pas des mouvements de doigts. Dans la notion de chorégraphe, il y a la corporéification totale de la musique, c’est tout le corps qui s’immerge.
Et voilà pourquoi l’on peut dire au total que le déchiffrage est échange. Déchiffrer devient s’inventer soi-même à travers une forme comparative: comment suis-je à travers l’information que je prends ? Que prends-je comme information qui me fait découvrir de ce que je ne connais pas de moi ? L’enjeu est de s’inventer soi-même à travers une situation métabolique. Que me dit cet accord ? Comment suis-je moi, à travers ce que je découvre ? Alors on peut dire que prendre le temps d’écouter l’accord que l’on vient de découvrir au lieu de foncer dans la dépendance d’un sablier est significatif d’une attitude d’échange.
On le voit, la problématique du déchiffrage prend tout son sens lorsqu’elle est reliée à celle des significations musicales. Lire de la musique peut être vu comme la fête d’une communication avec ce que l’homme a de plus grand. La première étape, en recourrant à l’image de l’arbre, consiste à examiner les nervures, les feuilles, les veines de ce tronc qu’est la partition, enracinées dans le temps, mais dont les dernières ramifications caressent le firmament. On est devant cet arbre, avec la partie la plus matérielle, les nervures, la feuille, les veines, et donc c’est l’âge, la maturité et en même temps, ces ramifications ; on se trouve dans une continuité, dans le mouvement, dans le processus se faisant, celui de la sève. Il s’agit de redonner à l’objet sa dimension temporelle.